Artur Avila, le "Fields" tant attendu

Publié le par Gaël Octavia

Cela faisait des années qu'on l'attendait - qu'il l'attendait aussi, sans doute - et c'est désormais chose faite : Artur Avila a reçu la médaille Fields pour ses travaux en systèmes dynamiques ! Honneur pour le Brésil, son pays d'origine. Honneur pour la France, puisqu'il est naturalisé français. Honneur aussi pour les laboratoires où il s'est épanoui scientifiquement durant toutes ces années, effectuant ses recherches au sein d'équipes talentueuses et réalisant les travaux qui lui valent aujourd'hui d'être récompensé : l'Instituto Nacional de Matemática Pura e Aplicada de Rio et l'Institut de Mathématiques de Jussieu - Paris Rive Gauche, laboratoire affilié à la FSMP, où il est Directeur de recherche CNRS.

 

Sous le signe de la précocité

 

Le parcours d'Artur Avila, né à Rio de Janeiro en 1979, est marqué par la précocité et jonché de récompenses. A seize ans, alors qu'il vient de remporter la médaille d'or des Olympiades Internationales de Mathématiques, il intègre l'Instituto Nacional de Matemática Pura e Aplicada (IMPA) de Rio, où il commence des études de mathématiques tout en finissant le lycée. Il n'a que dix-neuf ans quand il commence une thèse sous la direction de Welington de Melo et obtient donc son titre de docteur à vingt-deux ans à peine. Il en a vingt-quatre quand le CNRS le recrute, après un postdoc au Collège de France (sur l'invitation de Jean-Christophe Yoccoz, médaille Fields 1994) de 2001 à 2003. En 2005, il a l'honneur d'assurer le Cours Peccot du Collège de France, sur le thème : Dynamique des cocycles quasipériodiques et spectre de l'opérateur presque-Mathieu. En 2006, alors âgé de vingt-sept ans, il reçoit deux récompenses prestigieuses : la Médaille de Bronze du CNRS et le Prix Salem, ainsi qu'une bourse de recherche de trois ans du Clay Mathematics Institute, ce qui lui donne l'opportunité de passer plus de temps à l'IMPA. Nommé Directeur de Recherche CNRS en 2008 (à seulement vingt-neuf ans, donc), il travaille depuis entre Rio et Paris, tout en continuant à collectionner les prix : celui de la Société Européenne de Mathématiques, au Congrès Européen de 2008, pour ses travaux en systèmes dynamiques et en particulier ses contributions sur le flot de Teichmuller et les échanges d'intervalles ; le Grand Prix Jacques Herbrand de l'Académie des Sciences en 2009 (on note que deux médaillés Fields figurent parmi les trois mathématiciens qui l'ont précédé comme lauréats de ce prix biannuel : Wendelin Werner en 2003 et Cédric Villani en 2007) ; en 2010, le Congrès International des Mathématiciens l'invite à donner une conférence plénière à Hyderabad (il est évidemment le plus jeune conférencier plénier de cette édition) ; en 2011 le prix Michael Brin lui est décerné ; en 2012, l'International Association of Mathematical Physics lui attribue le Early Career Award...

Si la reconnaissance précoce a évidemment ses avantages, elle a aussi ses inconvénients. Ainsi, en 2010, Artur Avila - pas encore franco-brésilien mais brésilien tout court à l'époque - fait déjà partie des mathématiciens pressentis pour la médaille Fields - et le monde mathématique a d'autant plus les yeux rivés sur lui qu'il est conférencier plénier. Il ne la remportera pas cette fois-là et on imagine la pression qui dut peser sur ses épaules entre ce Congrès et celui qui, enfin, l'a consacré. On a d'ailleurs pu l'entendre, lors d'une interview donnée à France 24, confier qu'il aurait très difficilement supporté une telle pression quatre années de plus - eh oui, non content d'être le plus jeune lauréat de cet ICM 2014, Artur aurait encore eu l'âge réglementaire pour avoir la médaille au prochain Congrès, en 2018.

 

De nombreuses collaborations

 

Etienne Ghys, qui louait les travaux de l'heureux lauréat, l'a souligné en projetant un impressionnant diaporama de chercheurs de toutes nationalités étant ou ayant été en interaction avec Artur Avila : le jeune franco-brésilien fait partie de ces mathématiciens sachant nouer des collaborations fructueuses avec ses collègues. Il nous avait en effet confié, lors d'une précédente rencontre, apprécier cette façon de travailler : « Pour moi, le travail en groupe est utile pour plusieurs raisons. D’abord, je préfère discuter les mathématiques que de lire les mathématiques. J'aime être confronté au point de vue d'un autre mathématicien, qui peut être assez différent du mien. Et puis ces discussions présentent un autre avantage : au moment où on essaye d’expliquer un aspect d’un problème à quelqu’un, il arrive souvent que l’on voie quelque chose que l'on n'avait pas considéré auparavant. Le seul fait de verbaliser une idée peut déclencher une nouvelle découverte. C'est intéressant également de voir la différence de style entre plusieurs coauteurs. J'aime bien cette partie sociale des mathématiques. »

 

Une riche contribution au domaine des systèmes dynamiques

 

Artur Avila explore, depuis le début de sa jeune carrière, de nombreux aspects de la théorie des systèmes dynamiques. En voici quelques uns...

Dynamique unidimensionnelle et fractales
Pour commencer, Artur Avila a fait sa thèse en dynamique unidimensionnelle. C’est un domaine dont fait partie, par exemple, l’étude de certains objets fractals bien connus, comme l'ensemble de Mandelbrot, qui apparaît dans l'étude des applications du plan complexe de type p(z) = z2 + c, où z et c sont complexes.
Les applications de cette forme p(z) = z2 + c, et plus généralement les applications unimodales (c'est-à-dire qui ont un seul minimum, ou un seul maximum), peuvent apparaître dans certains cas de modélisation en écologie (comme les systèmes proie/prédateur). Dans sa thèse, Artur Avila s’est principalement intéressé au cas où z et c sont des nombres réels. Depuis les années 1970, on sait que la dynamique d'une application unimodale peut être assez compliquée. Quand on observe ce qui se passe quand on itère l’application p(z) = z2 + c, on constate que l’évolution du système dépend, de manière très sensible, du paramètre c. Pour certaines valeurs de c, cette évolution est très régulière (on appellera les paramètres c correspondant les paramètres « réguliers ») et les orbites du système sont attirées par un cycle stable. Pour d’autres valeurs de c, le comportement du système devient « pathologique ». Artur Avila s’est intéressé à la description de ces paramètres non-réguliers. Il a démontré, avec Mikhail Lyubich, Welington de Melo et Carlos Gustavo Moreira, que pour presque tout paramètre non-régulier, la dynamique est très chaotique et semble se comporter comme celle d’un objet aléatoire. Les observations successives ne sont cependant pas totalement indépendantes comme dans le cas d’un véritable objet aléatoire. On parle d’indépendance asymptotique avec une perte de mémoire exponentielle.
Il a également travaillé sur la dimension de certains ensembles fractals.

Les opérateurs de Schrödinger quasipériodiques
Les opérateurs de Schrödinger quasipériodiques sont des objets qui intéressent en particulier la physique mathématique. Eux aussi font apparaître des ensembles fractals, le plus connu étant le papillon de Hofstadter (Hofstadter's butterfly).

Le papillon de Hofstadter

L'opérateur de Schrödinger quasipériodique le plus étudié, celui qui a intéressé Hofstadter, est l'opérateur presque-Mathieu. Il décrit l'évolution d'un électron dans un champ magnétique d'un type particulier.
En 2000, le physicien mathématicien Barry Simon a proposé quinze « problèmes pour le XXIe siècle » qui portaient sur les opérateurs de Schrödinger. Artur Avila a travaillé sur trois d’entre eux, qui tous trois s’intéressent à des propriétés de l’opérateur presque-Mathieu : la conjecture de Hofstadter, auxquels plusieurs travaux avaient été consacrés depuis les années 1980, et qu’Artur Avila a démontrée complètement, avec Raphael Krikorian ; le « Ten Martinis problem » sur lequel Artur Avila a collaboré avec Svetlana Jitomirskaya ; et enfin un troisième problème étudié en collaboration avec David Damanik.

Echanges d’intervalles
Les échanges d’intervalles sont un autre sujet d’étude d’Artur Avila. Prenons un intervalle, coupons-le en deux et échangeons l'ordre des morceaux. Cette opération préserve l'ordre cyclique de l'intervalle. On peut l'imaginer en remplaçant l'intervalle par des cartes à jouer (quand vous "coupez" vos cartes et replacez le tas du dessous au-dessus). Ce découpage en deux est un exemple simple d'échange d'intervalles.
Prenons maintenant un intervalle et coupons-le en 4. Intervertissons ensuite le premier et le quatrième morceau, ainsi que le deuxième et le troisième. Cette fois, l’ordre cyclique de l’intervalle n’est pas préservé.
Artur Avila a démontré avec Giovanni Forni que pour presque toutes les façons de couper l'intervalle en quatre, il n'y a aucun « ordre cyclique » non-trivial caché. On dit que l'échange d'intervalle est faiblement mélangeant.

Le flot de Teichmuller
Les échanges d'intervalles ont un lien avec le flot de Teichmuller, qui est un objet d'analyse complexe (en l’occurrence une transformation sur les surfaces), et dont l’étude touche également d’autres domaines des mathématiques comme la théorie des nombres ou les fonctions zêta. Sur ce sujet, Artur Avila a démontré, avec Marcello Viana, la conjecture de Kontsevich-Zorich, qui s’intéresse à la manière dont le flot de Teichmuller déforme une surface plate. On considère une surface plate. Cette surface a des coordonnées cartésiennes nord, sud, est et ouest cohérentes. Le flot de Teichmuller déforme la surface dans le temps : il contracte la direction nord-sud (en multipliant les longueurs par e-t, où t désigne le temps) et, inversement, il dilate la direction est-ouest (les longueurs sont multipliées par et).
Avec Jean-Christophe Yoccoz et Sebastien Gouezel, Artur Avila a également démontré pour le flot de Teichmuller un résultat assez similaire à celui obtenu sur les applications unimodales : le flot de Teichmuller est très chaotique et, quand on étudie sa dynamique, les observations vérifient également la propriété d’« indépendance asymptotique avec perte de mémoire exponentielle » évoquée précédemment. On dit que le flot de Teichmuller est exponentiellement mélangeant.